Une toute petite poussière, pas plus grande que la surface d'un ongle du petit poucet faisait les cent pas derrière la sécheuse.
Un poisson d'argent passa par-là, l'aperçut et l'interpela :
- Tu es bien triste! Pourquoi roules-tu les cent pas, aller-retour cachée derrière cet appareil électrique au lieu de profiter du grand salon?
La poussière le dévisage et lui répond :
- Et toi, d'où viens-tu?
- Je change tout simplement de territoire car le maître de la maison va tantôt laver à grande eau de javel la salle de bain; je vais me réfugier sous le lavabo de la cuisine.
Poussière lui indique la direction en pointant le bout du corridor que ferment les appareils électriques et le mur.
- C'est juste ici, au bout! Tu n'as qu'à passer par la fente du tuyau de la sécheuse. Je t'avertis, c'est le bordel là-dessus.
- Pourquoi?
- Tu risques de te faire écrabouiller par un bol ou par tout autre objet car c'est l'armoire à débarras de la maîtresse de maison. Ils y mettent tout pêle-mêle.
- Je vois! Je serai prudent! Mais toi, tu n'as pas répondu à ma question!
La poussière se roule sur elle-même, se recroqueville et se met à pleurer. Notre poisson d'argent se rapproche d'elle, lui met une de ses pattes sur l'épaule et lui dit :
- Raconte-moi ce qui ne va pas!
Elle se met à pleurnicher de plus belle. Son compagnon lui dit :
- Arrête! Sinon tu vas te retrouver dans une flaque d'eau dans laquelle je vais pouvoir me baigner si tu continues.
Notre poussière se resaisit et débute son récit
- Je suis née ici.
- Et alors?
Elle se remet à pleurer. Poisson d'argent intervient.
- Si tu m'inondes à toutes les deux phrases, je ne connaîtrai pas la fin de cette histoire avant ce soir. Tu sais, je ne dispose pas d'autant de temps que ça pour t'écouter! Je peux rester à la lumière seulement d'une heure par jour, tu sais!
La poussière le fixe et lui fait signe de la suivre. Voilà nos deux amis qui se dirigent vers le capharnaüm où voulait se réfugier notre poisson d'argent. Ils se faufilent entre le boyau de la sécheuse et le mur et s'installent juste de l'autre côté sur un sac d'épicerie.
- Tiens! On devrait être tranquilles ici!
- Parfait! La lumière ne me sèchera plus la peau. Je t'écoute.
Notre poussière se met à gonfler d'émotion et notre ami interviennent immédiatement :
- Pas encore un déluge!
Elle se ressaisit aussitôt et reprend la parole :
- Bon! Ça va faire presqu'une saison que je suis ici.
Une pose. Le poisson d'argent la brise :
- C'est tout! Seulement ça?
- Non!
- Arrête de parler par image et vide ton sac au complet!
- Eh! Je veux voyager comme les autres poussières et aller visiter le monde extérieur et je ne réussis pas à sortir d'ici.
Le poisson d'argent en riant lui propose :
- Tu devrais sortir par le sac à balayeuse. Tu pourrais visiter le dépotoir de la ville.
- Tu me prends pour un niaiseuse! Je fuis la balayeuse comme une peste.
- Alors, qu'es-ce que tu attends pour monter sur la vadrouille du samedi matin et t'envoler du balcon du troisième avec les autres?
Une autre pose fait attendre. Le poisson d'argent lui lance un regard qu'elle comprend.
- Eh! Je ne suis pas capable de monter sur la vadrouille. Je tombe à chaque fois.
- Je comprends qu'avec le taux d'humidité que tu as avec tes pleurnichages, tu n'es pas capable de créer assez d'électricité statique pour rester attachée à la vadrouille.
La poussière ayant compris le problème s'empresse de demander :
- Qu'es-ce que je dois faire?
- Premièrement, arrêter de pleurnicher pour baisser ton taux d'humidité et ensuite tu devrais rester sous la sécheuse cette semaine pour profiter de la chaleur qui s'y dégage pour baisser ton taux d'humidité pour la prochaine séance de vadrouillage de samedi prochain.
Notre poussière se gonfle de fierté et s'empresse de se rendre sous la sécheuse en disant en sortant :
- Merci pour ton conseil!
- De rien! J'irai te…
Notre poussière n'a pas entendu le reste de la phrase de poisson d'argent. Elle arrive sous la sécheuse et examine où elle doit s'installer pour cette semaine d'attente.
- Tiens, là-bas sous le moteur; il devrait dégager assez de chaleur pour m'assécher.
Elle s'y installe et décide d'y roupiller un peu. Pendant ce temps, notre poisson d'argent est découragé de voir le méli-mélo. Il se dit :
- J'en ai pour un mois à escalader cette montagne de détritus si je veux atteindre l'évier. Je vais plutôt aller visiter notre poussière pour l'encourager.
Il arrive et trouve notre poussière qui se tord des parties de fibres pour faire sortir l'eau. Elle aperçoit son conseiller et lui dit :
- Ça ne fonctionne pas! Je suis aussi humide que lorsque je pleurnichais sinon plus.
Le poisson d'argent éclate de rire et lui dit :
- Tiens-toi par ici! Tu es sous un sauna! C'est normal que tu sois si mouillée.
- Tu m'as dit…
Poisson d'argent l'interrompt :
- De la chaleur, mais avec mesure.
- D'accord! J'ai compris!
Son ami lui demande :
- Pourquoi veux-tu voyager?
- Pour voir si ailleurs c'est aussi bien tenu qu'ici et féliciter les proprios.
- Je vois. C'est comme moi! Quand je sors, c'est pour les alerter que le taux d'humidité de la maison est trop élevé.
Notre poussière conclut :
- Une chance que ces humains nous ont comme indicateurs de propreté!
Poisson d'argent ajoute :
- Bien d'accord! Sinon, ils ne se nettoieraient pas et alors les méchants microbes les envahiraient pour les rendre malades.
Nos amis se tiennent compagnie le reste de la semaine. Le jour « J » arrive et notre poisson d'argent réveille en ce samedi matin notre poussière :
- Réveille-toi! Elle est en train de passer la vadrouille! Tu vas manquer ton voyage!
Poussière fait une accolade à son ami et roule à l'autre bout pour aboutir au milieu du passage et voit arriver la vadrouille qui est en train de nettoyer tous les recoins du passage. Elle se sent attirer par celle-ci. Elle s'agrippe à une fente du plancher de bois sous le regard du poisson d'argent qui lui crie :
- Lâche prise! Et bon voyage!
Elle suit son conseil et la voilà attachée à la vadrouille qui se promène en tous sens pour ramasser tous les passagers qui veulent bien y monter. L'un d'eux lui dit :
- Sois la bienvenue! Je ne te connais pas!
- Je suis nouvelle! C'est mon premier voyage!
- Tu m'accompagnes? Je vais dans l'immeuble d'en face.
- D'accord!
Et sur cette réponse, notre amie, avec son nouveau compagnon, se voit secouée sur le bord du garde-fou et emportée par Éole qui leur demande où ils veulent être déposés et tout cela sous le regard de poisson d'argent qui se retourne sur lui-même pour enfin aller se cacher sous l'évier et murmurer :
- Bon! En voilà une autre d'heureuse!