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Voici quelques textes que j'ai écrits dans le cadre d'un cours que j'ai suivi à l'Université Laval.

Les étés de mon enfance Je regarde
La fête de l'été Tempête de neige automnale
De quoi s'agit-il ? Portrait
Liberté 55 Graines miracles
La vierge pélerine










Les étés de mon enfance

À l'école, la remise des prix de fin d'année marquait l'arrivée des grandes vacances. Pendant que mes compagnes et compagnons d'école s'agitaient de plaisir dans leurs vêtements proprets, j'étais triste à la pensée que pour moi la saison estivale n'était pas synonyme de jeux.

Nous habitions une ferme et l'été était une succession interminable de travaux pénibles. Mon père était un maniaque de l'ordre et je me sentais l'esclave qui devait accomplir les travaux qu'il exigeait. Mes frères et soeurs, plus vieux, avaient déjà quitté la maison. Une soeur, un peu plus vieille que moi, papotait à journée longue avec ma mère.

La manucure du jardin

Un grand jardin clôturé, à l'arrière de la maison, nous fournissait des légumes. En juin, dès que l'herbe était coupée autour des bâtiments, il fallait faire la manucure de la clôture du potager. Une broche carrelée était attachée aux piquets. De l'herbe grimpait autour des piquets et s'agrippait aux fils métalliques. Pour que tout soit bien propre, avec des ciseaux, je coupais chaque brin d'herbe et l'arrachais après l'avoir délicatement détaché. Après des heures de labeur, mes genoux étaient râpés par la terre et les cailloux et des cloches d'eau se formaient à mes doigts. Ah ! si seulement nous n'avions pas eu des poules et un coq, une basse-cour, quoi, ou si les volatiles avaient été enfermés, le jardin aurait été ouvert, il n'y aurait pas eu cette clôture et je n'aurais pas eu à couper chaque brin d'herbe qui poussait à travers elle.

Les foins

Mais la coupe des herbes de la clôture du jardin n'était qu'une prémisse à la période des foins. En plus de recouvrir les grands fonds, vastes champs plats qui s'étendaient de la voie ferrée jusqu'à la rivière, le foin poussait dans plusieurs prairies et était récolté au début de juillet. Si le gros de la coupe se faisait avec la faucheuse à traction animale, c'est avec une faucille que l'on tondait les coins plus difficilement accessibles. Je n'ai jamais très bien su quel mouvement donner à la faucille, pas plus d'ailleurs que je n'ai jamais réussi un bon affûtage de la lame qui devait être régulièrement aiguisée.

Si la plupart des fermiers du canton se contentaient de couper le foin, de le laisser sécher d'un côté, de le retourner puis de l'engranger, mon père avait développé des techniques qui faisaient traîner les choses et qui nous faisaient travailler inutilement. Le foin était d'abord coupé. Après le souper, alors que tous les voisins se reposaient, on le mettait en veillottes. Le lendemain, le tout était étendu. Puis, vers l'heure du midi, on retournait la fenaison. Enfin, en après-midi, tout était ramassé. Pendant plusieurs années, j'ai foulé le foin dans le chariot dans lequel on l'empilait pour le transporter à la grange. Les tasseries se transformaient en véritables fournaises remplies de poussière. Le foin y était déchargé et je le plaçais uniformément en suant et en étouffant.

La traite des vaches

Le matin, les vaches venaient habituellement d'elles-mêmes dans l'enclos aménagé pour la traite. En après-midi, cinq heures marquaient le moment de la deuxième traite de la journée. J'allais chercher les bêtes dans le pacage long de plusieurs arpents. «Ti-vache, viens, viens, viens !», Que je lançais à pleins poumons. Habituellement, je les trouvais sans grande difficulté, mais il arrivait qu'elles ne répondent pas à mon appel et qu'elles ne se montrent pas. Je paniquais alors à l'idée de revenir à la maison pour y annoncer que je n'avais pas trouvé les animaux. Quelquefois, ô surprise ! elles avaient descendu à la suite de mes appels sans que je ne les voie. D'autres fois, il fallait que je retourne les chercher. Je les repérais alors cachées dans un coin de la forêt, bien à l'abri du soleil et des moustiques.

Après la traite, le lait était passé dans la centrifugeuse manuelle pour en extraire la crème. Le petit lait était donné à boire aux veaux nés le printemps. Je n'ai pas souvenance d'avoir jamais aimé ces travaux, d'autant plus que la vente de la crème, fruit de tant de travail, suffisait à peine à payer le beurre que nous consommions.

Le sarclage

Nous avions un grand champ de pommes de terre. Je devais, à quelques reprises au cours de l'été, tuer les coccinelles qui dévoraient les plants en saupoudrant une poudre blanche dont j'inhalais une partie en pensant qu'elle me rendrait malade. Puis venait la corvée du sarclage. Sous les rayons ardents du soleil, j'allais, à genoux, à travers les rangs pour arracher les mauvaises herbes. Pourtant, la plupart de nos voisins, qui ne sarclaient pas, avaient autant de pommes de terre que nous et elles étaient tout aussi belles.

Les récoltes

Vers la fin de l'été, c'était la récolte de l'avoine. Une méthode semblable à la cueillette du foin était suivie, cependant que le grain devait être battu. Puis venait le tour des pommes de terre. Après que la tige principale de chaque plant eut été arrachée, la charrue était passée. «Ouoh ! Tout drette !», Criait régulièrement mon père. Les tubercules jaillissaient du sillon. Après les avoir recueillis en les empilant sur une traîne à cheval, on les mettait à sécher sur l'herbe. Chaque rang était ensuite bêché afin de trouver les pommes de terre que la charrue n'avait pas déterrées. À la fin de la journée, avec nos mains crevassées, nous enlevions la terre séchée accrochée aux légumes et nous les emminotions. Les «patates brisées», comme nous les appelions, étaient mises de côté afin d'être mangées en premier. Quel travail pour six ou sept sacs de jute brun qui ne valaient que quelques dollars !

Quelques beaux souvenirs

J'aimais bien aller aux fraises, puis aux bleuets et aux framboises, même si la cueillette des grosses fraises se faisait dans le foin long où apparaissaient parfois des couleuvres qui m'effrayaient. Avec ma soeur, et quelquefois avec ma mère, nous nous efforcions de trouver les clos où les petits fruits étaient abondants. Il fallait ensuite découvrir des talles bien garnies que l'on gardait soigneusement afin qu'elles ne soient pas dévalisées. Une partie de la récolte était vendue. Je ne me souviens plus de ce qu'il advenait des dollars que nous rapportait la vente.

À l'occasion, ma mère me préparait un goûter que j'arrosais d'une boisson gazeuse ; quel régal c'était ! Il y avait aussi la venue de la visite, ou les enivrements occasionnels de mon père, qui me donnaient congé. À moins que ça ne soit la vierge pèlerine que nous passions de maison en maison. Ou les grands pèlerinages à Sainte-Anne-de-Beaupré ou à Notre-Dame-du-Cap.

Un été, alors que j'avais quatorze ou quinze ans, peut-être seize, un frère qui habitait Toronto m'invita à aller passer quelques semaines chez lui. Ce fut magnifique. Le soir, je travaillait dans un cinéma. Le jour, je flânais dans le jardin arrière de l'immeuble qu'il habitait. Souvent les fins de semaine, mon frère m'amenait en excursion : c'est d'ailleurs cet été-là que j'ai vu les chutes du Niagara. Et comble de plaisir, j'écoutais la musique que font encore tourner aujourd'hui les stations qui se spécialisent dans les succès d'autrefois. Souvent, les souvenirs de ma jeunesse se ramènent à cette musique que j'écoute avec nostaglie.

Le retour à l'école

Bientôt septembre revenait. Je retrouvais mes compagnes et compagnons. J'imaginais qu'ils avaient passé de vraies vacances à s'amuser. Moi, j'avais été l'esclave de la ferme. J'ai toujours détesté la campagne. Pas la campagne en soi, mais le travail qu'on y fait, lourd et long, et souvent mal rémunéré.













La fête de l'été

L'odeur des torches de pétrole se traîne jusqu'à mon balcon, loge improvisée d'où je domine les cours arrière de mes voisins qui, ce soir, saluent l'été. Un porcelet tourne sur le gril et j'imagine le délice que procurera tantôt la chair juteuse que les flammes lèchent. Des éclats de voix et des ombres glissantes laissent deviner que buissons et rocailles cachent des fêtards. Sur le chéneau d'un toit marche avec habileté, en se branlant la queue d'indépendance, un chat qu'on a oublié d'enfermer. Par ses superbes rayons, la lune annonce qu'elle est engrossée. Dans cet éclairage bigarré, le grand saule a échangé l'émeraude de ses feuilles pour une écharpe d'or. La brise qui rafraîchit les épanchements me caresse en passant. Je ne peux regarder cet îlot de verdure distraitement comme je l'ai fait mille fois; je suis fasciné par la métamorphose. Ce soir, c'est la fête de l'été !
























De quoi s'agit-il ?


Je vous propose six courts textes qui sont autant de descriptions d'objets courants. Lisez-les et essayez de deviner de quoi il s'agit. Vous pourrez ensuite vérifier vos réponses.

1.- Taches jaunes de vieillesse. Taches vertes de jeunesse. Taches roses de vie. Je t'ai eue petite et te voilà grande. Pour éviter que tu ne te décharnes, je ne t'oublie pas quand je bois. Et quand je mange, à l'occasion, je te nourris. Après t'être gorgée de soleil d'été sur le balcon, je t'ai fait passer dans ma verrière. Là, suspendue au plafond, tu es la plus belle!

2.- Chez-moi, tu es accepté alors que des amis te honnissent. Ici, tu es rond ; là tu es carré. Te voici en verre ; te voilà en métal. Des taches, voire des flammes tu me protèges. Souvent dans l'armoire, quelquefois sur la table. Presque toujours vide, dans la cuvette je déverse ton convenu, si on t'a sali, puisque tu fais alors bien sentir ta présence.

3.- Pièce du patrimoine familial. Tu es oblongue alors que tes soeurs sont rondes. De jolies fleurs compensent les brèches que les années t'ont faites. Pendant des décennies, tu n'as servi qu'à l'heure des repas, puis te voilà juste assez profonde pour recevoir quelques légumes déshydratés et me servir de centre de table.

4.- À huit mètres du trottoir, tu informes. Belle, mais non chargée comme certaines de tes voisines. Ici, tu présentes un texte seulement ; là, tu composes un véritable tableau. Toujours accrochée, éclairée la nuit, tu te balances souvent au vent. Grâce à toi, je sais que c'est là que je dois entrer.

5.- Soyeux. Roux. Quelque cinq centimètres d'épaisseur. Tu étais vie que l'on craignait; te voilà mort que l'on désire. Soigneusement rangé plus de six mois par année. Croissant que j'attache à mon manteau pour l'embellir et me réchauffer.

6.- Cercle aplati qui retient des lanières. Cent fois par jour, je te regarde. Et je sais que tu vis et que je vis. Tes bras trottent toute la journée. Tu n'es pas la plus belle de ma collection mais tu es la plus fidèle. Est-ce le temps de me lever ? Est-ce le temps de manger ? Est-ce le temps de partir ? C'est toi qui me réponds.


Réponses

















Réponses

1.= Jardinière
2.= Cendrier
3.= Assiette
4.= Enseigne
5.= Collet de fourrure
6.= Montre








Liberté 55


Juin 1997. Cinquante-cinq ans et près de 33 ans de service. Je pourrais travailler encore quelques années, ne serait-ce que pour augmenter la rente à laquelle j'aurai droit mais les mesures de départ assisté sont intéressantes. Vais-je rester ? Vais-je partir ? Tout compte fait, le jour de mon cinquante-cinquième anniversaire de naissance est le dernier jour de travail officiel. Je prends ma retraite.

C'est l'été et les deux premiers mois sont de grandes vacances. Puis les jours raccourcissent. Il fait moins chaud. Je deviens plus casanier. Malgré moi, je pense au travail qui, chaque matin, m'appelait. Avant de m'engager dans des projets en matière d'occupation de mon temps, l'heure du bilan est arrivée : comment me suis-je dirigé dans tel ou tel champ d'activité ? Quoi inscrire dans les colonnes «Positif» et «Négatif» pour ces décennies ? Et si j'avais des recommandations à faire ?


Le choix d'une carrière

Né sur une ferme, je n'ai jamais été intéressé à devenir fermier. Il y avait de quoi lire chez moi, que ce soit la «grosse Presse» ou les livres que nous faisait parvenir un oncle frère mariste ou les anciens numéros de Sélection du Reader's Digest qui, eux, étaient offerts par une vieille tante. Très jeune, la lecture m'a permis de développer tout un imaginaire qui me permettait de mieux tolérer le présent.

Par ailleurs, mon père, homme non instruit, avait, avec les années, développé une habileté à lire des plans préparés par des ingénieurs, et qu'il utilisait pour la construction de ponts et ponceaux, parties intégrantes des routes à la construction desquelles il travaillait à titre de contremaître. Il aurait aimé que je devinsse ingénieur.

Sans études classiques puisqu'ayant plutôt terminé une douzième année «scientifique», j'étais limité en ce qui concerne les portes que pouvait m'ouvrir l'université. J'ai travaillé un peu dans l'hôtellerie où les propriétaires, satisfaits de moi, m'offraient d'étudier dans ce domaine. Mais l'idée ne m'emballait pas tellement. Un hasard, heureux, survint. Un été, une commission scolaire, à court de professeur, lança un appel pour en recruter un, même non diplômé. Je fus accepté. J'ai aimé le travail. L'année suivante, je commençais mon bac en psychopédagogie. J'ai oeuvré dans le milieu de l'enseignement pendant près de dix ans. Pendant plus de vingt ans, c'est ensuite en communication, dans le secteur public, que j'ai travaillé.


Ce que m'a apporté le travail

Bien qu'il n'ait pas comblé tous mes besoins affectifs, le travail m'a longtemps fourni un groupe d'appartenance et une importante raison de vivre. À certains moments, j'ai développé des relations professionnelles qui ont débouché sur de belles amitiés dont certaines durent encore. Dans certains cas, même si on ne peut pas parler d'amitié, le terme «atomes crochus» décrit assez bien à la fois l'admiration et la concertation, pour ne pas dire la connivence, qui m'ont permis de bien fonctionner avec certaines personnes.

Le travail m'a permis d'acquérir des connaissances et de l'expérience qu'aucune école n'aurait pu me transmettre. Des gestionnaires d'envergure, qui savent apprécier les capacités de quelqu'un et qui leur donnent les moyens pour aller de l'avant, ont été les êtres les plus précieux que j'ai croisés. Dans certains cas, les moyens dont je disposais m'ont permis de réaliser des travaux qu'il aurait été difficile, voire impossible, de faire ailleurs. Je pense ici à tous les volets des communications : édition, relations publiques, rédaction, gestion de périodiques. En édition, par exemple, je suis devenu un spécialiste reconnu et les guides que j'ai publiés ont eu un grand succès. Un, entre autres, en est à sa troisième édition, cumulant des ventes de plus de dix mille exemplaires.

Et, chose très importante, il ne faut pas oublier que le travail m'a apporté la sécurité matérielle; celle qui permet de satisfaire les besoins de base, en plus de quelques extras, et qui nous assure une retraite plutôt confortable.


Ce que le travail a eu d'aigrissant

J'ai vite constaté, dans tous les emplois que j'ai occupés, qu'un bagage de connaissances théoriques, si imposant soit-il, ne suffit pas. C'est sur le tas que le quotidien doit être appris, quelquefois très vite.

J'ai rarement souffert de manque de ressources matérielles. Si, à certains moment, j'ai moins aimé mon travail, c'est à cause de collègues qui étaient, soit incompétents, soit si perturbés sur le plan personnel qu'ils ne pouvaient pas s'en tenir à mes connaissances et à mon expérience et que, par conséquent, des conflits de personnalité, plus ou moins déclarés, m'empêchaient de fonctionner.

Le milieu du travail m'a appris, plus que d'autres secteurs de ma vie, certains mécanismes de survie. Si quelqu'un a de l'envergure, il peut facilement être débordé par une surcharge de travail s'il n'apprend pas à dire «Non». La manipulation, qui s'annonce souvent par la phrase «Tu es bon, toi, tu vas pouvoir faire ça!» doit être dépistée et on doit éviter de tomber dans ces pièges qui sont, sinon mortels, tout au moins fort dangereux pour la santé physique et mentale.


Si j'avais des recommandations à faire

La culture générale, surtout une parfaite maîtrise de la langue, est essentielle alors que déjà plus de 50 % des travailleurs ont à manipuler de l'information. Doit suivre l'obtention d'un diplôme, collégial ou universitaire, puisque même si un diplôme n'est plus le gage de l'obtention d'un emploi, toutes les études montrent que plus on est instruit, plus vite on obtient un emploi et mieux on est rémunéré. Aux notions théoriques doivent s'ajouter des stages en milieu de travail.

En ce qui concerne le choix d'un secteur d'activité, il faut tenir compte à la fois de ses goûts, de ses capacités et du marché du travail.

Il ne faut pas se gêner pour en mener large. Certains collègues pourront être dérangés, mais ils n'ont qu'à faire la même chose, ou s'enlever du chemin.

Les gestionnaires devraient être choisis non seulement en fonction de leurs connaissances et de leur expérience passée mais surtout en tenant compte de leur capacité à gérer du personnel. Savoir faire confiance, déléguer, supporter, permettre même l'erreur : voilà des caractéristiques d'un non gestionnaire.


Conclusion

Même s'il nécessite l'acquisition de connaissances pour lesquelle il faut parfois trimer dur, même s'il n'est pas toujours aussi gratifiant qu'on pourrait le souhaiter, même si, parfois, il peut porter atteinte à la santé, le travail est un des plus importants facteurs de réalisation de l'être humain.





















Je regarde...


Je regarde l'horloge et ses aiguilles qui, inlassablement marquent et fuient le temps, me rappelant tantôt souvenirs, tantôt projets qui vont et viennent en me hantant.

Je regarde la plante qui reflète ma vie : ses feuilles sont parfois vertes, parfois des fleurs jaillissent ; tout comme moi, elle a besoin de soleil, de chaleur, de nourritures diverses.

Je regarde l'edelweiss séché dans un cadre et je vois la main qui l'a cueilli dans des montagnes lointaines, l'artisan qui en lui donnant son caractère d'unicité, l'a fait objet d'art, et l'amie qui me l'a offert, plantant ainsi chez moi une parcelle de son pays.

Je regarde l'ordinateur et je frissonne à l'idée de ce que, tout à l'heure, il m'offrira. Monde entier entré chez moi qui me fait sentit seul parmi des millions.

Je regarde le téléphone et je trouve dommage que parfois il ne sonne pas. Joies, tristesse, espoir, tous les sentiments ont passé par lui. Je le désire et le crains. Je le veux muet et je le veux bavard à la fois.

Je regarde le clocher de l'église et me revois, enfant, prêt pour la grande sortie dominicale. Même si je l'ai quitté, il m'oblige, à l'occasion, à être témoin de grandes joies, de grands chagrins.

Je regarde le piéton dans la rue et j'imagine que sa course se terminera dans les bras d'un être cher. À moins qu'à vingt pas, il ne retourne, ne sachant où aller. Et si c'est chez moi qu'il se dirige, mon coeur bat plus fort ou se glace.

Je regarde le fauteuil vide et je vois tous ceux qui y ont passé un moment, une heure, une demi-journée. Peux-tu me dire si tu préfères demeurer vide ou si tu veux de la compagnie ?

Je regarde les montagnes au loin et me voilà voyageur! Loin, très loin, des inconnus demeureront toujours des inconnus. Et si j'y vais, trouverai-je une personne qui me sourira, me reconnaîtra ?















Tempête de neige automnale


L'église et son clocher dressent leur masse imposante au premier plan tel un rempart contre l'envahisseur blanc. En arrière, à gauche et à droite, les tours de deux hauts immeubles s'estompent dans la même blancheur tout en délimitant l'univers. Quelques arbres dans le parc qui entoure l'église rappellent, à leur manière, que ce fut l'été puis l'automne et que ce sera tantôt l'hiver. Sur la rue qui longe un côté du temple, seuls quelques pas furtifs ont violé la blancheur omniprésente. Une ouate, que l'on devine douce et moelleuse, s'est uniformément déroulée sur le toit de l'église afin de lui apporter un peu de chaleur.

Derrière, partout où mon regard se porte, il n'y a plus de ciel ni de terre, mais une immense toile blanche que l'absence de soleil fait légèrement grisonner. Le relief des aiguilles de la majestueuse horloge de métal ouvré, agrippée solidement au clocher, donne encore l'heure même si les chiffres ont disparu. En arrière du toit, à gauche, un arbre s'est débarrassé de ses feuilles pendant qu'il était temps ; il a été récompensé de sa prévoyance en étant transformé en un somptueux bouquet de tiges d'argent. Un autre, au centre, bombe la poitrine d'orgueil pour bien montrer la cape rouge et or qu'il a mis des semaines à colorier savamment et qu'il agite maintenant dans le vent afin que rien n'y colle. Un troisième, à droite, tout fringuant, étale encore, soulignée de blanc, la verdeur de sa jeunesse.

Je peux tout regarder de ma fenêtre, mais des milliers de papillons blancs, qui foncent obliquement vers le sol, défendent farouchement l'univers qu'ils ont envahi et me forcent à rester dans mes retranchements.













Portrait
Ses yeux bleus brillent intensément à certains moments, alors que le plus souvent, ils dégagent un air de tristesse, donnant même l'impression d'un regard qui fuit. De longs sourcils, que les années ont grisonnés, coiffent le regard, dépassant à peine les lunettes oblongues qu'il porte toujours. On devine qu'une chevelure abondante a déjà entouré le visage ovale. Avec le temps, les os du visage et ceux de la mâchoire inférieure se sont décharnés, équarrissant des angles que les muscles ramollis viennent adoucir. Le front s'est dégarni au rythme des années de travail. Ici et là, au centre de la tête, quelques touffes de poils ont trouvé grâce : ils s'éclatent de vie comme des centaines de petits ressorts. La moustache, elle aussi grise, indique l'humeur de l'homme : demi-cercle qui entoure avec douceur la lèvre supérieure, elle dégage la paix ; long tiret sous le nez, elle laisse deviner l'incrédibilité ou l'indifférence ; parenthèse aux bouts relevés, elle marque tantôt la réflexion, tantôt un début de colère. Les épaules, relâchées vers l'avant quand on regarde de face, arrondies quand on regarde de côté, montrent l'homme se faufilant, à cause de la gêne ou à cause de la maturité que ne dérangent plus tous les petits événements de la vie.















Graines miracles


Je devais consacrer mon été à compléter une licence à l'université. Une copine et sa mère avaient accepté que j'habite leur grande résidence pendant qu'elles séjourneraient en Europe. En plus de verser un léger loyer, je devais faire de menus travaux : tondre la pelouse, m'occuper de la perruche Lulu, prendre soin des chiennes Cathy et Florenne, arroser une cinquantainte de plantes.

Un ami suivait également des cours et avait besoin d'être hébergé. Je lui offris l'hospitalité. C'était un artiste. Un jour, je quittai la maison pour une fin de semaine. Je donnai à mon ami les consignes d'usage concernant la perruche, les chiennes, les plantes.

Quand je revins le lundi, un drame m'attendait. Le coloc, un peu lunatique, n'avait pas donné de graines à la perruche, mais l'avait plutôt uniquement nourrie du fin gravier qu'on lui donnait à l'occasion pour l'aider à digérer. Affamée, elle avait réussi à sortir de sa cage. Ravies d'avoir un si beau jouet, les chiennes s'en étaient donné à coeur joie. Lulu était morte.

Nous nous demandions quoi faire. Le camelot nous apporta la réponse : des perruches étaient en solde dans un grand magasin. Nous allâmes en acheter une. Malheureusement, il fut impossible de trouver un oiseau ayant un plumage identique à celui de Lulu. Les couleurs étaient les mêmes, mais beaucoup plus vives. Nous l'achetâmes quand même.

Quand, fin août, ma copine revint avec sa mère, femme d'autorité, je m'empressai de leur faire faire le tour du propriétaire. Pour atténuer le choc que la dame aurait en retrouvant une perruche légèrement différente de celle qu'elle avait laissée, je lui dis que j'avais donné à l'oiseau des graines pour améliorer les couleurs. Elle prit bien la chose s'étonnant de ce que la science pouvait faire.

Mais Lulu était une perruche apprivoisée à qui ses maîtresses avaient appris plein de petits tours. Voilà qu'elle ne voulait plus rien faire. Madame consulta le vétérinaire pour lui demander si les graines miracles ne pouvaient pas être la cause de cette amnésie. Le docteur lui répondit qu'une perruche avait la mémoire bien courte et qu'elle oubliait très vite, et les gens et les tours d'adresse.

Il me restait à expliquer pourquoi j'avais repeint le plafond de la cuisine et de la salle à manger, pourquoi j'avais posé une tringle sur le plancher en bois, entre le vestibule et le salon.

J'ai cessé de voir ces gens. J'ai appris un jour que la dame était morte. Elle était allée rejoindre Lulu qui l'attendait depuis longtemps en paradis.














La vierge pèlerine

Qu'elle était belle la Vierge, dans sa grotte de bois, entourée de tulle blanc, flottant dans une lumière bleue, semblable à un ciel ensoleillé ! Qui plus est, c'est moi qui avais réalisé l'oeuvre qui me valait bien des compliments !

Dans la paroisse que j'habitais, un prêtre retraité cultivait une grande dévotion pour la Vierge Marie. Il avait fait en sorte que chaque école possédat sa Vierge pèlerine qui, à chaque mois de mai, allait de maison en maison, portée en procession par les enfants à la sortie des classes. Le soir venu, les voisins se réunissaient dans la maison où la Vierge trônait dans un reposoir que l'on avait fabriqué avec grand soin, utilisant tantôt de simples fleurs, tantôt des branches de sapin, voire des décorations de Noël.

C'était une simple statue de plâtre placée dans une boîte de bois. On la découvrait en ouvrant deux petites portes qui pivotaient sur des pentures. L'intérieur était peint en bleu. La madone était entourée d'un voile et une ampoule électrique, invisible, diffusait une douce lumière. Je crois que des étoiles étaient collées sur le tissu mais je n'en suis plus certain. On pouvait transporter la "grotte" par une poignée fixée sur le dessus.

En ces années -  j'avais onze ou douze ans - , la vertu, sinon la dévotion, m'habitait et quand je vis la niche pour la première fois, je voulus en construire une semblable. Ce n'était pas une mince tâche.

Il me fallait d'abord les matériaux : bois, vernis, poignée, pentures pour la boîte proprement dite ; statue, tulle, peinture, ampoule et son socle pour l'intérieur. Où allais-je prendre le tout  ? Avec quel argent pourrais-je payer ? Comment réussirais-je à scier convenablement le bois difficile à travailler pour ensuite sabler et assembler les pièces, les vernir et les peindre ?

Mon père était un habile menuisier mais jamais il ne m'avait initié à quoi que ce soit en la matière. Ce que je savais, je l'avais appris en observant et en faisant mes propres expériences. Le coffre à outils était bien garni mais ne l'ouvrait pas qui voulait ! Quant à ma mère, femme généreuse, elle était prête à m'aider dans la mesure de ses moyens.

Mes souvenirs sont confus : je ne me souviens plus très bien comment et avec quel argent je me procurai ce dont j'avais besoin. Un oncle, menuisier, m'a peut-être donné le contre-plaqué. Une cousine, mariée au propriétaire du magasin général, a possiblement fourni le tulle, à la demande de ma mère avec qui elle était très liée. Il y eut possiblement d'autres dons, telle la statue elle-même. Quant au reste, je dus le payer avec l'argent de poche que je me faisais par la vente itinérante de parfum, de graines de semence, de cartes de Noël.

Je pris les mesures de l'oeuvre originale et je les transposai sur le bois. Je sciai le tout, mais je n'obtins pas les beaux traits qu'aurait fournis une scie plus fine ; le sablage répara en bonne partie les dégâts. L'assemblage se fit sans trop grande difficulté même si les pentures n'étaient pas incrustées dans le bois comme j'aurais souhaité qu'elles le soient. L'application du vernis ne donna pas d'aussi beaux résultats que je l'aurais souhaité : l'opération aurait dû être faite dans une pièce sans poussière avec un pinceau spécial. Mais le tout était fort convenable.

La préparation de l'intérieur fut plus facile : je crois que j'avais tout pour réaliser une bonne copie et je le fis. J'en étais satisfait, mais pas tout à fait : l'original, la vraie madone pèlerine était si belle !

Quelques semaines plus tard, le curé à la Vierge visita notre famille. Il fut émerveillé par ma madone pèlerine. Il la bénit et assura ma mère que des dames pieuses qu'il connaissait aimeraient sûrement en avoir une semblable dans leur maison. Je ne reçus jamais de commandes : le curé avait-il surestimé la dévotion des bonnes dames ou est-ce ma mise en marché qui ne fut pas à la hauteur ?